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Le gaz et l’électricité sont très importants pour
nos sociétés. C’est aussi un marché énormenombre qui donne la mesure règlementaire.
Les entreprises se battent sur ce marché pour en avoir la plus grosse
part. Le mois dernier, le gouvernement français annonçait la création
d’un géant de l’énergie, Suez-GDF. L’Etat français
veut défendre ses entreprises. Cela ne plaît pas à l’union
européenne. Cela plaît-il au marché?
Fin février, une grande entreprise italienne d’électricité,
Enel, annonce une prochaine OPA sur l’entreprise Suez. En achetant Suez,
Enel veut être propriétaire d’Electrabel, producteur et fournisseur
d’électricité en Belgique. Electrabel appartient, à 100%,
au groupe Suez. Pour empêcher l’OPA, le gouvernement français
dit qu’il va fusionner Suez avec GDF. Si l’on additionne, les valeurs
en bourse des deux entreprises, on arrive à plus de 70 milliards d’euros.
Trop grosse somme pour Enel.
Etat et marché
L’entreprise privée Suez est d’accord avec la fusion. Et l’Etat
français a 80% des actions de GDF. Suez-GDF deviendrait le géant
de l’énergie en Europe. Le gouvernement français défend,
ce qu’il appelle, un patriotisme économique. L’annonce fait
scandale. Un scandale parce que, dans l’Union européenne, il est
mal vu qu’un Etat défende ses intérêts nationaux. Un
scandale parce que la fusion Suez-GDF est contraire aux règles du marché libre
de l’électricité. Un marché libre défendu par
les autorités européennes. Il y a déjà une ouverture
du marché électrique pour les industries. En 2007, ce sera le tour
des particuliers. Nous pourrons donc choisir notre fournisseur d’électricité en
toute liberté. Mais si le marché est tenu par seulement quelques
grandes entreprises, quelle liberté aurons-nous? Il n’y aura pas
de vraie concurrencecompétition entre entreprises pour être le plus rentable et gagner des marchés. Mais est-ce vraiment du patriotisme économique ?
D’abord, le gouvernement français parle de patriotisme économique
pour rassurer sa population. L’année dernière, les Français
ont refusé la Constitution européenne. Un Etat qui défend
ses entreprises, dans le grand marché européen, rassure les gens.
Ensuite, le gouvernement français ne respecte pas ses propres lois. L’année
dernière, l’Etat français a privatisé une partie de
GDF. Il en était propriétaire à 100 %. En privatisant, le
gouvernement avait dit que l’Etat garderait toujours au moins 70% de GDF.
Dans le groupe Suez-GDF, il aurait moins de 40 % des actions. Enfin, l’OPA
d’Enel n’a pas créé la fusion mais l’a seulement
accéléré. On savait que le groupe privé Suez voulait
créer un nouveau groupe avec le groupe public GDF. Ne parlons donc pas
de patriotisme économique.
Haute tension
Ceci dit, peut-on en vouloir au gouvernement français? L’énergie
est quand même un secteur important. En plus, Suez, c’est aussi l’eau
et l’environnement. La France a donc voulu créer un «champion» industriel
dans le secteur de l’énergie. Un secteur en plein bouleversement.
Le groupe E.ON a annoncé une OPA sur la société espagnole
Endesa. Endesa, elle même, visée par une autre entreprise espagnole… L’année
dernière, Suez a racheté les 50 % d’actions qui lui manquait
dans Electrabel. Dans les années à venir, il faudra être
une grande entreprise pour jouer un rôle sur le marché du gaz et
de l’électricité. Tous les spécialistes économiques
sont d’accord là-dessus. La Commission européenne aussi.
Mais la Commission préfère que ce soit le marché qui décide.
Elle n’aime pas qu’un Etat de l’Union intervienne politiquement
dans les règles économiques. C’est ce qu’a fait le
gouvernement français.
Il n’est pas le seul en Europe à vouloir défendre ses industries
même si elles sont privées. Si cela continue, cela peut créer
un joyeux bordel. Il y a deux solutions. Ou bien, on laisse faire le marché.
Ce qui veut dire qu’on laisse la politique de l’énergie aux
mains d ‘entreprises de plus en plus grandes, de ses actionnairespropriétaires d'une partie du capital d'une entreprise et, disons-le,
des intérêts financiers. Ou bien, on crée une véritable
politique de l’énergie dans l’Union avec de grands projets
industriels créateurs de richesse et d’emplois à plus long
terme.
Thierry Verhoeven