lundi 22 juillet 2024

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Paroles de poilus

Grâce à ce livre, bien conçu, émouvant, déchirant même, on découvre une guerre qui n’est pas la guerre de l’histoire officielle. Nous avons choisi avec émotion quelques-unes des images de la vie de ces soldats, pour les partager avec vous.

Le bal
Extrait des carnets de guerre de Raymond Rollinat.

« Ce soir, au train de 10h11, un poilu qui avait un accordéon organisa un bal dans la salle de la buvette, transformée depuis longtemps en salle d’attente.

On invita les demoiselles qui se trouvaient sur le quai, et on dansa ferme pendant les trois minutes d’arrêt du train. Personne ne disait rien ; le silence était presque absolu et l’on entendait que l’instrument et le pas des danseurs.

A trois reprises, un employé vint siffler à la porte disant que le train allait partir. Enfin les poilus consentirent à y prendre place au cri de « Vive la révolution ! ».

Raymond Rollinat a été mobilisé à 50 ans. Pendant quatre ans et demi, il a été plongé dans la tourmente de la guerre. Il était responsable de la réception des soldats morts chargé des démarches administratives et de la gestion des effets personnels.


Un cheval d’officier…
Lettre de Léon Pénet à sa femme Alcée

3 octobre. Je viens de bien dormir, du sommeil de l’homme de bien. Je crois que sous mon oreiller, composé d’une gerbe de paille, il devait y avoir une nichée de rats, car toute la nuit, j’ai entendu de petits cris de satisfaction. Je devais sans doute les chauffer très agréablement. J’ai pensé tout de suite à ma nichée à moi qui aura aussi de petits cris de satisfaction quand je serai rentré. Nous avons parfois dans nos cantonnements des aventures qui nous font bien rire. Il faut te dire bien vite que nous avons pour habitude de rire de peu de chose.
Il fait nuit noire, nous dormons tous pesamment. Tout à coup, la grosse voix de notre lieutenant se fait entendre : « Duchêne (c’est le nom de son ordonnance) sellez mon cheval ». Le cheval, au lieu de coucher dehors, couche auprès de nous, il ne faut oublier qu’il est un cheval d’officier. Le nommé Duchêne, les yeux gonflés de sommeil, se lève encore tout engourdi. Il n’a pas d’allumettes. Â tâtons, il cherche il cherche la selle et se dirige vers un grand corps que l’on distingue vaguement dans l’ombre. Il pose la selle sur le grand corps et se met en devoir de le sangler fortement. Mais l’animal a sans doute trop mangé, car la sangle a beaucoup de peine à faire le tour du ventre. Â force de travail, Duchêne arrive cependant à joindre les deux bouts. Puis, les muscles raidis, il peine encore à faire gagner quelques trous. Mais tout à coup, nous entendons un plaintif gémissement, quelque chose de larmoyant, qui demande grâce. Le grand corps que l’on distinguait vaguement dans l’ombre était une vache qui essayait de faire comprendre qu’elle était trop serrée. Quant au cheval, il était couché comme un veau tout à côté et s’était bien gardé de montrer qu’il était là. Nous avons bien ri et pendant le restant de la nuit, les ronflements étaient souvent coupés par de gros éclats de rire. Tu vois nous ne sommes pas difficiles quand il s’agit de rire. J’ai depuis quelques jours un cheval que j’aime, j’ai ressenti le coup de foudre en le montant.
Et dire qu’il y a des gens pour prétendre que le coup de foudre n’existe pas. Les gants que tu m’enverras feront bien d’être doublés pour qu’ils ne s’usent pas trop vite sur les rênes.
Je t’adore de plus en plus.

Léon

(Lettre de Léon Pénet à sa femme Alcée datée du 3 octobre 1914. Il avait 34 ans)


17 mai 1917
Lettre de Maurice Drans à sa fiancée Georgette

Avant-hier soir, dans l’encre bleue de la nuit je parcourais sur la terre les signes de croix de l’au-delà…
C’était l’éparpillement macabre du cimetière sans couverture, sans croix, abandonné des hommes les gisements et par des cadavres innombrables, sans sépultures, le charnier à nu dans le grouillement des verts et dans les pluies d’obus qui continuaient.
Plus d’un millier de cadavres se tordaient là, déchiquetés charriés les uns sur les autres…
Je traînais de la nuit vers les lignes, mon fardeau de pièces sur le dos ; je défaillais ; dans ma bouche, dans mes narines ce goût, cette odeur : l’ennemi et le Français sympathisants dans le rictus suprême, dans l’accolade des nudités violées, confondus, mêlés, sur cette plaine de folie hantée, dans ce gouffre traversé de rafales vociférantes.
L’Allemand et le français pourrissant l’un dans l’autre, sans espoir d’être ensevelis jamais par des mains fraternelles ou pieuses.
Aller les recueillir, c’est ajouter son cadavre dans cette fosse toujours béante, car insatiable est la guerre…
Chaque nuit, nous longeons cette géhenne pétrifiée où s’agitent les spectres, le cœur chaviré, nous bouchant le nez, les lèvres crispées.
Oh ma Georgette, je devrais te parler d’amour, et je te parle de ça !…
Mais le comble, c’est que nous mangeons au retour après minuit, le seul repas par vingt-quatre heures avec la bouche encore pleine des cadavres ; nous mangeons à l’aveuglette sans même un moignon de lumière. Ah! Ca ne coule guère et c’est froid, figé, pas tentant

Lettre datée du 17 mai 1917
(Maurice Drans avait vingt-trois ans en 1914. Il a été blessé trois fois pendant la guerre. Il a épousé Georgette, mais le couple n’a pas duré. Comme tant d’autres, après la guerre… Maurice devint instable et bohême, il resta toute sa vie un homme de lettres, obsédé d’écriture.)


Le compteur à gaz
Lettre de Louis Bloch à l’administrateur délégué de la Compagnie du gaz de Paris

Monsieur l’Administrateur,

Au reçu de votre lettre me réclamant la somme de 31,75 fr, pour frais de compteur, j’ai été stupéfait, mais la guerre m’ayant appris à vaincre les surprises, je suis resté calme et n’ai laissé voir de mon étonnement.

J’ose espérer que, si malgré le calme et le confort de vos bureaux, vous ignorez la situation actuelle, la France est en guerre contre plusieurs puissances, L’Allemagne, l’Autriche et le tutti quanti, vous pouvez ignorer par contre que Madame Bloch et moi, sommes partis chacun de notre côté pour faire notre devoir, Madame Bloch comme infirmière militaire (actuellement hôpital 73 à Vichy), moi comme soldat de 2ème classe au 156ème R.I.

Et, pendant qu’avec le 20ème corps, nous tenions bon au Grand Couronné de Nancy, permettant aux troupes du centre de remporter la victoire de la Marne et d’éviter que les Allemands ne détériorent par bombardement quelques-uns de vos compteurs, la location du mien marchait toujours.

Je me trouvais donc dans la même situation que Passe-Partout, le héros de Jules Vernes, qui, pendant son voyage autour du monde, avait laissé brûler son gaz.

Puis j’ai combattu quelque temps dans la Somme, puis en Belgique, dans l’eau, dans la boue et la pourriture, en antagonisme constant avec la maison d’en face.

Au mois de mai 1915, je n’ai pas été bien loin, une balle allemande m’a arrêté dans ma course sans arrêter pour cela la location de mon compteur qui, elle, continuait inexorablement sa marche ascendante, et je frémis d’épouvante en songeant que je pouvais être tué et que la location de mon compteur aurait continué jusqu’à la consommation des siècles (la seule qui soit gratuite).

Enfin, je vous demande de reprendre votre compteur et d’arrêter les frais, je vous en prie, mais veuillez me tenir au courant de votre décision, afin que, lorsque je retournerai au feu, ce soit le cœur léger ou le front soucieux, suivant votre décision.
Veuillez agréer, Monsieur l’Administrateur délégué, mes respectueuses salutations.

Louis Bloch

(Louis Bloch avait 28 ans en 1914, Au début de la guerre, il avait une petite fille de deux ans et demi que les grands-parents ont gardé pendant le conflit. Louis et sa femme Lucie ont survécu à la guerre, mais, il n’y a aucune trace de la réponse l’administrateur délégué de la Compagnie du Gaz de Paris ( !!!). )


Et en conclusion, une phrase de Marin Guillaumont, instituteur d’origine auvergnate.

« Je doute que les nations soient assez sages pour aller après cette guerre, résolument au désarmement et à une paix durable. »


Dans la préface de cet album, Jean-Pierre Guéno écrit : « Bien avant que des historiens n’arrivent à éventer les fables d’une histoire réécrite en temps réel par la propagande en temps de guerre, la parole individuelle des poilus de la Grande Guerre disait le vrai poids de leurs souffrances, leurs sentiments de révolte devant l’incompétence et le manque d’humanisme de leurs états-majors. Comme toujours, la parole individuelle des véritables acteurs de l’histoire – je veux parler de ses figurants et non pas des têtes d’affiche – a le mérite de faire mentir l’histoire officielle, véhiculée par les Etats et par la presse qu’ils ont asservie. Le contenu des lettres et des journaux intimes aura toujours raison des communiqués officiels rédigés pour emballer l’opinion publique, pour ne pas effrayer les mères, pour rassurer les veuves et les orphelins potentiels, et pour forger l’âme guerrière des futurs conscrits .
(…) Les poilus de la Grande Guerre ont su immortaliser leurs sensations, leurs émotions, leurs états d’âme et leurs cris de détresse dans l’écriture manuscrite de leurs correspondances et de leurs carnets. Aujourd’hui, au moment où les tout derniers poilus disparaissent, ce sont leurs visions, les paysages de leurs chemins de croix qui reprennent vie, (…) après leurs batailles. Cette adaptation en bandes dessinées est sans doute l’une des meilleures façon de ne jamais les oublier : de traduire en images, en visions d’aujourd’hui , l’inconcevable d’hier et de tous les temps…

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