Le début de la scène
On est devant l’usine des piles Wonder à Paris le 10 juin 1968. Les ouvriers et les ouvrières viennent de voter la reprise du travail après une longue grève. Ils doivent donc rentrer dans l’usine pour retourner au boulot. Une jeune ouvrière refuse de rentrer. Elle crie : « Je ne rentrerai pas, non je ne rentrerai pas, je ne veux plus refoutre les pieds dans cette taule dégueulasse. » Autour d’elle que des hommes, des ouvriers et des employés de l’usine, des permanents syndicaux.
La scène montre bien que Mai 68 avait fait naitre l’espoir d’une vie meilleure. Et puis, la réalité : les syndicats disent qu’il y a un « mieux ». C’est vrai, mais le « mieux » n’est pas à la hauteur de l’espoir. Ce qui est peut-être le plus important dans cette scène, c’est l’image et la voix de cette femme. Une femme entourée, encerclée d’hommes qui essaient de la raisonner.
Le contexteXLes circonstances, les conditions, les explications d'un événement, d'un fait, d'une action
En mai 1968, il y a eu un grand mouvement social en France. Les étudiants, les travailleurs manifestent et font grève pour de meilleures conditions de vie, pour plus d’égalité et même pour changer complètement la société. Face au mouvement social, le gouvernement et les patrons signent des accords qui améliorent les conditions de travail et le salaire des travailleurs à condition que les grèves s’arrêtent. Ce sont les accords de GrenelleXAccords signés en France par le gouvernement et les patrons pour augmenter le salaire et les droits des travailleurs après les grandes grèves de Mai 68. Accords signés au ministère du Travail, rue de Grenelle à Paris, le 26 mai 1968..
Suite à ces accords, les syndicats demandent aux travailleurs des usines en grève de voter oui ou non pour reprendre le travail. Dans les usines, les travailleurs votent pour reprendre le travail car ils ont gagné beaucoup avec les accords de Grenelle. Mais ils n’ont pas tout gagné et les travailleurs sont quand même déçus. Ils pensent que ces accords ne sont pas suffisants. Des travailleurs et des… travailleuses ! Car dans les usines, les femmes avaient des conditions de travail moins bonnes que celles des hommes et elles étaient beaucoup moins bien payées.
Retour sur la scène
Revenons au film. Cette jeune ouvrière crie sa souffrance. Certains diraient : elle est hystériqueXDans le langage courant, personne très excitée, très nerveuse, qui n'est pas raisonnable et les hommes qui l’entourent essaient de la raisonner. Pourtant cette jeune ouvrière ne délire pas. Elle dit la réalité. Elle dit ses conditions de travail : « Mais vous ne pouvez pas savoir comment c’est là-dedans. On est noir jusque-là [elle montre le dessus du coude], on baigne dans la crasse, y’a même pas un lavabo pour se laver. On n’a pas le droit d’aller pisser quand on veut. » Elle dit comment elle voit la différence entre l’ouvrière et l’employée : « Bien sûr, les femmes qui sont dans les bureaux, elles s’en foutent. » Elle dit encore les manœuvres du patron pour saboter le vote des travailleurs : « Et d’abord pour le vote, ils ont fait des saloperies. »
Wonder womanXNom d'une super-héroïne de bande dessinée et de cinéma aux Etats-Unis, "femme merveilleuse" en français n’est plus sur la scène
Ce qui est ensuite remarquable, c’est que le débat s’engage entre hommes. Ils parlent calmement, ils parlent de stratégieXFaçon de faire pour arriver à un but. On entrevoit encore quelques images de la jeune ouvrière, mouchoir à la main pour essuyer ses pleurs. Mais la caméra se détourne d’elle car il faut suivre les débats entre hommes. Ce qui est émouvant dans la scène, c’est la jeune ouvrière, la jeune femme, isolée. Et tout le monde au final se détourne.
Le patron des usines Wonder ramène cette jeune ouvrière à sa condition de travailleuse dominée dans l’usine. Pour le patron, elle n’est qu’une force attachée à son poste de travail. Les hommes qui l’entourent devant l’usine ramènent cette jeune femme à sa condition de femme dominée aussi dans la société, ils l’encerclent. Pour ces hommes syndicalistes et même pour le jeune étudiant révolutionnaire, cette jeune femme qui pourtant vient de crier la réalité, cette jeune femme n’existe pas.
[(Le film
Le film a été réalisé par 2 jeunes étudiants d’une école de cinéma le 10 juin 1968, à l’entrée de l’usine Wonder à Saint-Ouen en Seine Saint-Denis, banlieueXterritoire autour du centre d'une ville industrielle de Paris. Il s’appelle Reprise du travail aux usines Wonder.
Un dossier sur le film à télécharger gratuitement
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