« Agis en ton lieu, pense avec le monde » disait l’écrivain Edouard Glissant. Cette phrase vient à l’esprit en lisant Robert Dussart, une histoire ouvrière des ACEC de Charleroi. Robert Dussart né en 1921 dans la région industrielle de Charleroi en Belgique wallonne. Son père est mineur de fond, sa mère est aussi ouvrière au charbonnage.
L’éducation populaire
Robert doit quitter l’école à 13 ans et demi. Mais avec son père, le tout jeune Robert fréquente la Maison du peuple de Dampremy. Pour les ouvriers, les Maisons du peuple étaient des lieux de rencontre, de débats, de loisirs et de culture. Le jeune Robert y fait de la gym et du solfège. Il y voit les films muets de Laurel et Hardy ou de Buster Keaton. Adrian Thomas, l’auteur du livre écrit que ces films « font éclater de rire Robert qui lit à haute voix et avec intonation les cartons des dialogues aux vieux mineurs illettrés. » Dans la bibliothèque de la maison du peuple, Robert découvre les livres des romanciers Jules Verne, Victor Hugo et Emile Zola. En 1935, à 14 ans, Robert Dussart entre aux ACEC, Ateliers de Construction électrique de Charleroi, une grosse entreprise de la région. Il suit plus tard des cours du soir à l’Université du travail et devient ouvrier qualifié.
Grèves
Fin des années 1950, Dussart dirige la délégation syndicale FGTB
FGTB
Abréviation de Fédération Générale des Travailleurs de Belgique. Sa couleur : le rouge.
des ACEC. Et il va mener des grandes luttes sociales avec « ses » ouvriers. Comme l’écrit dans son avant-propos du livre, Josiane Vrand, sa compagne de vie et de lutte pendant plus de 30 ans : « Il a toujours dit que c’est d’eux qu’il tirait sa force et qu’ils étaient sa plus grande fierté. »
Ses ouvriers et puis tous les autres car Dussart est aussi pour le front commun avec le syndicat chrétien CSC
CSC
Confédération des Syndicats Chrétiens, plutôt chrétien. Sa couleur : le vert.
et appelle toujours à la solidarité avec les autres mouvements sociaux. Prenons la grande grève de 1960 qui a secoué toute la Belgique. Prenons encore une grève de 13 semaines aux ACEC en 1979 pour gagner la réduction du temps de travail à 36 heures par semaine.
Agir en son lieu
Dussart, l’ouvrier, le syndicaliste, sera aussi sénateur communiste. A la sortie du livre, un syndicaliste a dit : « Comment peut-on en arriver à une situation où un homme, Robert Dussart, a pu être délégué principal dans son entreprise, les ACEC de Charleroi, être aussi le porte-parole des travailleurs des 4 sites des ACEC du pays dans une grève pour les 36 heures par semaine. Et tout ça en étant sénateur en même temps. Est-ce qu’on peut encore imaginer cela aujourd’hui ? C’est interpelant. » Interpelant, oui, cette histoire ouvrière. Comment était-ce possible ? Sans doute parce que Dussart, porté par ses ouvriers et le mouvement ouvrier, agissait en son lieu et pensait avec le monde.
Penser avec le monde
L’actuel président de la FGTB-Charleroi Antonio Cocciolo rappelle dans la préface du livre : « L’engagement de Robert ne s’arrêtait pas aux murs de son usine ni aux frontières de sa terre natale. » Et il cite Robert Dussart : « Quand je lis la presse le matin, j’ai l’impression de me réveiller dans le monde entier. »
Ce livre sur Dussart, c’est un coup d’œil sur l’histoire. L’histoire d’un fils de mineur qui grâce à sa personnalité, mais aussi grâce à l’éducation populaire et au mouvement ouvrier est devenu un dirigeant syndical et politique bataillant pour la réduction du temps de travail et les droits sociaux. Cela méritait d’être raconté pour garder la mémoire, pour aussi mieux voir le présent.
Et on pense à ce qu’écrivait la romancière Marguerite Yourcenar : « Le coup d’œil sur l’Histoire, le recul vers une période passée vous donne des perspectives
perspectives
Points de vue que l’on a pour regarder certains faits, certains évènements.
sur votre époque et vous permet d’y penser davantage, d’y voir davantage les problèmes qui sont les mêmes, les problèmes qui sont différents ou les solutions à y apporter. »
Camarade soleil
J’ai eu la chance de côtoyer Robert Dussart pendant 20 ans et souvent dans l’arrière-salle du Café des ACEC, un bistrot devant l’usine. Dans la fumée bleue des cigarettes, devant des ouvriers, ouvrières des ACEC, des militants militants personnes qui s’engagent et qui agissent pour défendre une idée, une cause. et militantes communistes, Dussart représentait pour moi l’ouvrier qui a le gout du travail bien fait dans l’usine ou dans la grève. L’ouvrier autodidacte autodidacte qui a appris et apprend par lui-même plein d’intelligence, d’humour et de liberté. L’ouvrier qui fait penser à ces vers du poète Jacques Prévert :
Devant la porte de l’usine,
le travailleur soudain s’arrête,
le beau temps l’a tiré par la veste
et comme il se retourne
et regarde le soleil (…)
Il dit :
Dis donc camarade Soleil
tu ne trouves pas
que c’est plutôt con
de donner une journée pareille
à un patron ?



Aux Editions Aden avec le CEPAG-Cenforsoc de Charleroi et la MWB Hainaut Namur (régionale de la centrale des métallurgistes de la FGTB), 26 euros.
Présentation du livre en vidéo
Un témoignage de Robert Dussart sur la grève de 60 dans notre article En 60, les gens veulent se faire entendre !
Auteur : Thierry Verhoeven